Maïs, méthanisation et électricité : l’Allemagne, l’exemple à ne pas suivre !
Copie d’un article diffusé par les amis de la Terre contre les gros projets de méthanisation
Saccage écologique, influence des lobbies agricoles, argent public gaspillé et faux avantages écologiques, entre l’éthanol de maïs en France et la méthanisation du maïs en Allemagne pour produire de l’électricité, les similitudes sont nombreuses !
Article de Nils Klawitter Der Spiegel du 27/08/12 (Traduction Amis de la Terre)
LES BOUFFEURS DE MAÏS
Faire de l’électricité à partir du maïs, cela semblait être une bonne idée. C’est pour cela que les unités de biogaz furent encouragées. Aujourd’hui, des régions entières sont recouvertes par cette plante énergétique et les agriculteurs sont supplantés par les investisseurs.
Renate Rahn est productrice de lait. Elle a réussi à surmonter la crise de la vache folle et il y a 3 ans la crise du lait. Pourtant aujourd’hui, « elle ne s’en sort plus ».
Ce n’est même pas à cause de la menace de prix du lait trop bas. C’est parce qu’elle ne trouve plus de terres à louer à un prix abordable pour ses vaches et les cultures fourragères. En seulement 4 ans, le prix de la location de l’ha est passé de 250 à plus de 600 euros pour an. Une fois encore, elle a perdu avec d’autres producteurs de lait ,des surfaces de maïs au profit d’une unité de biogaz.
Avec ce maïs, ce ne sont plus des vaches qui sont nourries mais un digesteur dans lequel il fermente. L’installation fonctionne comme l’estomac d’une vache et est alimentée deux fois par jour avec du maïs haché. Sous le dôme et dans les gargouillis du digesteur, des gaz se forment et le méthane, un gaz très énergétique, est amené vers le bloc d’une centrale thermique et transformé en électricité.
Alors que le prix du lait de Renate est poussé le plus bas possible par la grande distribution, le biogaz lui, n’a aucune raison de se plaindre. L’électricité produite est subventionnée pendant 20 ans, dans le cadre de la Loi sur les Energies Renouvelables. Renate Rahn doit donner à ses vaches du soja importé du Brésil, toujours plus cher. Elle sait qu’elle va perdre la lutte pour les matières premières. « Cette politique nous fait crever ».
A l’origine, transformer des produits alimentaires en électricité a été une idée de la coalition Rouge-Vert (SPD-Grünen). C’était à l’époque des primes pour l’arrêt de la production et de la surproduction (N du T : En France, de façon similaire, le plan éthanol a été mis en place lorsque la réforme sucrière de l’Union européenne menaçait les revenus des betteraviers et que les cours du maïs étaient au plus bas. Ce plan a été uniquement conçu comme aide à ces deux filières, le discours sur les prétendus « bienfaits écologiques » de l’éthanol est venu plus tard).De multiples petites unités de méthanisation devaient transformer l’Allemagne en paradis du biogaz. Dans les champs, cela a entraîné une vraie révolution. Une ruée vers l’or, subventionnée. Et un désastre écologique.
Une unité moyenne a besoin de 200 ha cultivés en maïs et elle doit être constamment alimentée. L’appétit pour le maïs a transformé l’Allemagne en désert. Le Schleswig-Holstein, land très plat du nord de l’Allemagne, était autrefois appelé « le pays des horizons ». Aujourd’hui, sur les 150 km entre Hambourg et Flensburg à la frontière danoise, la vue est partout bouchée par les champs de maïs. Entre Brême et Münster, ce n’est pas mieux. Même en Haute Souabe (sud de l’Allemagne) et sur les hauteurs de l’Eiffel (sud-ouest) les prairies ont disparu et ont été labourées.
Le maïs-énergie est cultivée sur 810 000 ha. Rien qu’en 2011, l’augmentation a été de presque 27 000 ha, avec comme conséquence grotesque que, pour la première fois depuis 25 ans, l’Allemagne ne sera plus capable de couvrir ses besoins en céréales.
Alimenter les humains ou les moteurs ? « Nous pouvons faire les deux » claironne le nouveau président de l’Union des agriculteurs. Et s’il se trompait. ? Dans les bastions de l’élevage de poulets, il a fallu importer du maïs-aliment, puisque les champs sont pris par le maïs-énergie.
Contrairement au débat de fond sur les agrocarburants, il ne s’agit pas ici directement de savoir si la culture de plantes énergétiques alimente les moteurs ou les humains. D’une part, le maïs n’est pas transformé en carburants et d’autre part il n’y a pas beaucoup de maïs cultivé à destination des humains. Pourtant, avec la ruée sur le foncier, les terres deviennent rares et des produits alimentaires comme les pommes de terre voient leur prix monter. Dans les champs, les nouveaux « agriculteurs électriciens » font face aux éleveurs dans un nouveau conflit, auges contre kilowatts.
Christoph Lutze, un autre producteur de lait du nord de l’Allemagne explique qu’avant même qu’un agriculteur ne soit enterré, c’est la course pour ses terres. Et il n’est pas le seul à rapporter ces faits. Le producteur de lait a peur pour ses terres en location, peur des « chevaliers brigands modernes » qui sont en quête de nouvelles terres à occuper.
Cela fait déjà quelque temps que ce ne sont plus uniquement des agriculteurs qui se lancent dans le secteur énergétique. Les investisseurs s’appellent AgriKultur, Deutsche Biogas ou KTG Agrar. Ce sont des sociétés qui reçoivent des centaines de millions d’euros de banques régionales comme celles de Brême ou d’Oldenbourg, les agriculteurs ne servant souvent que de prête-noms. Grâce à eux, ces sociétés peuvent construire facilement une unité de biogaz à proximité de la ferme.
Christoph Lutze a eu à faire dernièrement avec un investisseur. Cet important administrateur judiciaire s’est installé à proximité, dans une luxurieuse maison neuve. Accessoirement, celui-ci investit aussi dans le maïs-énergie et a acquis des terres que Lutze a louées jusqu’en 2013. Ces prairies humides servent depuis des années de source de fourrage pour ses vaches et ne doivent pas être labourées sans compensation.
« Tout d’un coup, ils sont arrivés avec des machines de drainage à commandes laser, ils ont ouvert le sol et posé des tuyaux ». Pour drainer. Pour préparer la culture du maïs comme ils l’avaient fait pour les autres champs environnants en vue de la monoculture du maïs. D’après l’investisseur, Lutze laissait ses champs s’abîmer.
Accaparement des terres au coeur de l’Allemagne ? La rotation des cultures fait partie des bases d’une bonne pratique agricole. On ne plante pas du blé sur du blé, mais on alterne les cultures pour conserver la qualité du sol. Avec la manie du maïs, cette tradition pleine de bon sens a été enterrée.
Pour le maïs, les règles ont changé. Effectivement, il semble qu’il soit possible sans grosse perte de rendement, de cultiver 10 ou 12 années de suite du maïs.
Par contre, les dommages écologiques sont supportés par la communauté. Les monocultures provoquent la disparition d’oiseaux comme les vanneaux et les busards cendrés qui ne trouvent plus de lieux de nidification. Dans certaines régions de Bavière, 90% des zones de prairies riches en biodiversité ont disparu, souvent victimes de l’avancée du maïs.
Entre temps, du maïs est même planté sur des tourbières. Et là, le fameux bilan écologique du biogaz présenté comme un des sauveurs des climats, est absolument calamiteux. Pour Uwe Baumert de l’association écologiste Nabu « le carbone qui était séquestré dans les sols est relâché ». Le Nabu a calculé que cela représentait une quantité de 700 g de CO2 au KW/h. C’est autant que certaines centrales au charbon.
Les responsables de la qualité de l’eau sont aussi inquiets face à la plante miracle. Une centrale produit chaque année près de 20 000 tonnes de déchets de digestion. Ils sont ensuite utilisés comme engrais sur les champs de maïs moissonnés. Comme les lisiers, ce sont de vraies bombes à nitrates.
La charge en nitrates dans les nappes de surface sous les champs de maïs a été mesurée. La plupart du temps, elle se situe entre 80 et 120 mg/l, soit bien au-dessus de la valeur maximale autorisée de 50mg/l. comme l’indique un responsable de l’eau, « Nous sommes en train de créer un très gros problème. Nous acceptons de sacrifier la qualité des eaux souterraines ».
Pendant ce temps, les autorisations pour de nouvelles unités de biogaz continuent d’être données sans problème. Entre Hambourg et Brême, un projet de centrale de 5 Mégawatts, avec 9 digesteurs, a reçu le feu vert. Ce serait la deuxième installation dans une petite zone de protection des eaux. Les édiles locaux dont certains sont partie prenante du projet ont évacué d’un revers de main les inquiétudes des fournisseurs d’eau locaux. Le fils de Hans-Heinrich Ehlen, homme politique de droite (CDU) longtemps Ministre de l’Agriculture, est dans le coup.
Cette évolution est parfaitement connue du personnel politique. Dès 2007, le Comité scientifique du ministère de l’Agriculture a déconseillé cette forme de soutien. Le ministre de l’époque, Horst Seehofer, et Ilse Aigner qui lui a succédé ont ignoré volontairement les avertissements : le lobby agricole a trouvé dans le camp conservateur un très fort soutien. Ce n’est que dernièrement que la situation a été un peu rectifiée : dorénavant les installations subventionnée ne peuvent utiliser que 60% de maïs.
Il y a 4 semaines, un groupe de scientifiques de renom a tout simplement demandé de mettre fin au boum du biogaz. Il s’agissait de chercheurs de l’Académie Nationale des Sciences « Leopoldina », Ce qui les dérangeait le plus était le taux d’efficacité dérisoire par rapport aux immenses surfaces nécessaires.
Voilà, une technique qui, avec 4,8 milliards d’euros de tarifs préférentiels, est maintenue en vie cette année encore, alors qu’elle « n’a aucune chance » face à l’éolien et au photovoltaïque, selon le chercheur de l’Académie, Rolf Thauer,
Par rapport à l’énergie utilisée, l’électricité photovoltaïque est 5 fois plus efficace que l’électricité produit à partir de biogaz et l’éolien 10 fois plus.
Lorsqu’on parle de transition énergétique, de tels calculs font désordre. 80% de toutes les installations de biogaz dans le monde se trouvent en Allemagne, notamment les deux plus grandes Penkun et Güstrow. Ces deux centrales produisent 20 Mégawatts et peuvent chacune fournir l’électricité de 40 000 ménages.
Ces deux dévoreurs industriels de maïs en engloutissent 1000 tonnes chaque jour. Pour cela, il leur faut une surface agricole de 12 000 ha qui s’étend jusqu’à la Pologne. Pourtant, en fin de compte, ces géants ne sont que des nains énergétiques.
Felix Hess, responsable de la compagnie Nawaro ne comprend pas ce « racisme anti-maïs ». L’idée du biogaz vient de l’époque des montagnes de céréales et des primes pour la jachère. Si les installations ont encore à lutter contre certaines difficultés, cela est dû au fait que cette technique est relativement récente.
Par contre, pour la nouvelle installation de Güstrow, Hess avance un taux d’efficacité incroyable de 80%. Il faut noter quand même, que l’installation ne dépend plus des subventions de la Loi sur les Energies Renouvelables, mais envoie directement son biogaz dans le réseau. Mais cette technique n’a pas non plus, encore atteint sa maturité.
Par contre, Hess est confronté actuellement à d’autres conséquences du boum du biogaz. Certains agriculteurs profitent de la situation pour renégocier les tarifs lors de la livraison. Dans certains Länder, cela passe encore « mais si les tarifs pratiqués étaient ceux de la Basse Saxe, nous serions en faillite ».
Rédigé le 7 septembre 2012